« Deux types tournent en rond dans un paysage indéfinissable au pied d'un arbre dépouillé, au bord d'un reste de chemin. Leurs costumes autrefois « portaient beau », témoins les chapeaux melons surmontant leurs guenilles. Ils conservent aussi des bouts/bribes d'ancienne Culture : depuis le Christ et ses larrons à la Tour Eiffel, en passant par Dante, les vendanges en Vaucluse et les blagues irlandaises. Inséparables, ils s'appellent Estragon et Vladimir. Rien à faire, donc. Rien à vivre, mais le fait est : on vit. Pas moyen d'aller ailleurs, pas moyen de mourir, d'en finir. Donc on attend ; il faut bien attendre « quelque chose », nommer ce rien qu'on attend. Ils l'ont appelé Godot, qui ne viendra jamais. Mais ça fait patienter...
Dans ce monde amnésique, arrivent deux nouveaux humains spectaculaires : le maître et l'esclave, le proprio Pozzo et son larbin Lucky (semble-t-il un ex-intellectuel devenu chien). Tiens... chapeaux melons eux aussi... Ceux-là portent d'autres bribes de l'ancienne « civilisation » : la domination, la hiérarchie, l'exploitation. Mais n'en reste plus que l'inutile grimace et les clichés.
Le pire, c'est que tout ça est loin d'être triste ! Tout ce petit monde est vivace, increvable. Tant qu'il y a de la vie, il y a, hélas, de l'espoir ! Et des blagues et des gags – fussent-ils involontaires. Car le poète adorait Buster et Charlot et Laurel et Hardy, autres increvables du XX° siècle, eux et leurs échecs triomphants... »
Jean-Pierre Vincent