Il y a d’abord eu cette lumière, celle de la salle du Vieux-Port intitulée pour l'occasion « L'aube chair » éclatante, presque méditerranéenne, où les corps peints par Katia Bourdarel semblent flotter entre innocence et trouble. Puis vient l’obscurité — celle des « Nocturnes et métamorphoses », dans l’autre aile du musée — où l’artiste plonge le visiteur dans un monde intérieur, peuplé de figures en transformation, de forêts, de reflets et de mirages.
Cette dualité, entre le miel et le fiel, entre le sel des larmes et celui de la mer, résume toute la tension d’une œuvre habitée par la beauté autant que par sa perte.
Réunissant une centaine d’œuvres – peintures, sculptures, vidéos et installations – cette rétrospective couvre plus de dix ans de création et donne la pleine mesure du talent polymorphe de Katia Bourdarel. Diplômée des Arts décoratifs de Paris, l’artiste née à Marseille en 1970 construit depuis plus de vingt ans un univers à la fois mythologique, charnel et spirituel.
Ses Vénus, ses nymphes et ses odalisques réinventent la tradition classique sous le filtre d’un présent inquiet. Le corps y est célébré, mais aussi contraint, caché, fragmenté. Beauté et malaise s’y entremêlent avec une intensité troublante.
Dans ses grandes huiles sur toile, comme ses petites aquarelles, le réalisme délicat des chairs s’oppose à la tension dramatique des postures. Les couleurs se fondent sur le noir et blanc, les draps enveloppent autant qu’ils dissimulent, les regards semblent fuir.
Des modèles féminins pris en photos puis assemblées et peintes, le travail de Bourdarel devient alors résistance à l’instantanéité du monde puisque « peindre, c’est prendre le temps », confie-t-elle. Une manière de s’attarder sur la texture du réel, de le détailler, de le retenir.
La mythologie irrigue toute l’exposition. Dans une sculpture consacrée à Psyché et Éros (à gauche sur la photo ci-dessus), les larmes de verre suspendues rappellent la trahison de l’amante et la fragilité du désir. Le miroir noir à son pied, à la fois abîme et portail, ouvre vers un monde parallèle — un entre-deux cher à l’artiste, où tout peut se métamorphoser.
Plus loin, des cabanes et donjons en bois perchés sur des arbres de céramique se dressent, tels des refuges d’enfance, abris de l’imaginaire. La tresse dorée d’une Raiponce miniature s’échappe d’une tour obscure (à droite sur la photo ci-dessus, avec l'artiste Katia Bourdarelle à côté). Tandis qu’une peinture intitulée La Mer Beauté joue de son nom comme de sa composition, supports de la dualité du regardeur regardé, du corps fécond et du corps miroir.
Le parcours s’achève sur Emzara, une vidéo méditative consacrée à l’épouse oubliée historique de Noé. Dans un flot de sons et d’images suspendues, Bourdarel rend hommage à cette figure effacée par l’Histoire, poursuivant sa réflexion sur les représentations féminines, entre effacement et puissance.
S’il peut, au premier regard, désarmer par son hyperréalisme, le travail de Katia Bourdarel fascine justement par cette perfection presque lisse qui dérange autant qu’elle captive. Il faut reconnaître la virtuosité technique de ses toiles : peaux nacrées, drapés sensuels, compositions millimétrées — tout y est d’une précision troublante.
Certes, on pourrait croire qu’il manque à cette beauté maîtrisée une faille, une imperfection, pour mieux dire la vie. Mais c’est précisément là que réside la force de l’artiste : dans ce vacillement subtil entre maîtrise et fragilité, où affleurent la menace, la grâce éphémère et l’érosion du temps.
Musée Regards de Provence, Marseille
Du 16 octobre 2025 au 15 mars 2026
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h
Tarif : 8,50€ // Réduits : 8,00€ – 7,00€ – 6,00 € – 4,50€ – 3,50€
Voir les conditions sur le site du musée