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''Quand les pompiers sont arrivés, le feu était déjà passé'' à Marseille, dix jours après, la colère n'est toujours pas éteinte

Dix jours après le passage de l'incendie, c'est un sentiment de colère et d'abandon à l'Estaque. Certes il n'y a pas eu de morts ni de blessés graves, mais le bilan matériel est très lourd, et pose question dans un secteur habitué aux incendies et où la réponse des pompiers n'a pas été à la hauteur des attentes des habitants.

Publié par Jean-Baptiste Fontana le 19/07/2025 - Mis à jour le 19/07/25 19:02

Situé sur les hauteurs de l’Estaque, le chemin du Marinier est un vallon sinistré. Sur la soixantaine de maisons construites dans cette impasse, plus d’une dizaine ont été entièrement détruites par les flammes. Ici, personne n’arrive à comprendre les décisions prises en préfecture. « On n’en veut pas aux pompiers, mais à ceux qui ont donné les ordres » explique un habitant.

Comment se fait-il que dans un secteur connu pour son exposition aux incendies, les pompiers n'aient pas été déployés plus tôt. Face à l'ampleur du sinistre et de l'éloignement de ce quartier par rapport au centre de Marseille, c'est un sentiment d'abandon qui vire à la colère.

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Sur les hauteurs de l’Estaque, le feu passe presque tous les 10 ans

Les marins-pompiers sont intervenus sur la commune des Pennes Mirabeau dès le début de l'incendie

Au vallon du Marinier, chaque habitant a son souvenir du passage d’un incendie. C’est un secteur à haut risque, un véritable couloir de feu.

Il faut dire que le vallon accumule tous les risques : il est situé en contrebas de l’autoroute, et ses nombreux départs de feu, le relief tend à y accélérer le mistral et les flammes qui dévalent des collines. Ce relief escarpé rend aussi difficile la construction de pistes DFCI (Défense des Forêts Contre les Incendies) pour permettre aux pompiers de se positionner entre les collines et les maisons et enfin des lignes haute tension au-dessus des maisons compliquent considérablement le travail des avions et hélicoptères.

La carte des passages du feu dans les Bouches du Rhône entre 1960 et 2019 © Préfecture des Bouches du Rhône

Sur les cartes de la préfecture recensant le nombre de passage du feu depuis 1960, on est dans la couleur la plus foncée. Ici plus qu’ailleurs, les incendies passent et repassent. On comptabilise au moins 5 incendies majeurs depuis les années 60. Le quartier est classé au plus haut niveau au plan de prévention des risques d'incendie de forêt.

Alors ici, la culture du risque incendie est omniprésente. Il n’y a pas de débat, chacun débroussaille, dispose des tuyaux d’arrosage, chacun connait les bons réflexes en cas d’incendie : « Mon portail est ouvert, j’ai une pompe électrique avec un tuyau relié à la piscine » explique Laure, une habitante du vallon. « On rencontre régulièrement les pompiers pour parler et anticiper ces risques ensemble. Le département y a spécialement installé quatre citernes d’eau il y a quelques années pour que les pompiers aient toujours de l’eau ».

Dès 13h on savait que le feu allait toucher le vallon... les pompiers arriveront plus de 2 heures après

Au bout de l'impasse, les pompiers n'ont pas utilisé les citernes à eau et la végétation a brûlé

Ce mardi 8 juillet, l’incendie s’est déclaré vers 10h50 à près de 4km de là sur une bretelle d'autoroute entre l'A7 et l'A55. Quand dès 13 heures, le feu saute les lignes de protection des pompiers sur la crête au Jas de Rhodes aux Pennes Mirabeaux, les sapeurs-pompiers des Bouches du Rhône savent parfaitement qu’il se dirige vers les quartiers du Verduron et de l’Estaque et ils préviennent leurs collègues marins-pompiers.

Le feu avance vite, parfois jusqu'à 1,4km par heure, et fait des sautes impressionnantes. L'une, au dessus de la carrière Samin fera 500m, plombant une bonne partie de la stratégie des pompiers pour l'arrêter sur la crête du Jas de Rhodes. Leur travail sera d'autant plus compliqué que régulièrement dans l'après-midi, les moyens aériens sont redéployés sur des feux naissants à Lançon et Belcodène, permettant à l'incendie de Marseille de repartir de plus belle.

Quand le feu saute l’A55 vers 15h20, il n’y a plus aucun doute possible. Le feu n’est plus qu’à quelques centaines de mètres des premières habitations du Marinier. Ce n’est plus qu’une question de minutes.

S’il y a bien eu quelques largages de retardant par un Dash pour tenter de protéger le quartier, c’est l’arrivée tardive des pompiers qui suscite le plus la colère.

On a vu débarquer 4 camions de pompiers venus du Var pour protéger tout le vallon regrette Dany, qui habite dans l'une des premières maisons touchées, au bout de l'impasse. « Ils ne savaient pas où aller, ils étaient perdu avec leur GPS, ils tournaient en rond. Quand ils pompiers sont arrivés, le feu était déjà passé. C’est une honte ! Ils ne se sont même pas servi de l’eau des citernes »

Ce qui suscite le plus de colère chez les habitants, c’est ce sentiment d’abandon. Tout était écrit et prévisible. Alors pourquoi les pompiers ne sont-ils pas venus défendre le quartier à temps? Des questions toujours sans réponse.

Au bout de l’impasse, Dany nous montre ce qu’il reste d’arbres situés au-dessus des citernes, ils étaient centenaires et avaient résisté aux cinq précédents incendies car le vallon fut protégé à chaque fois par les pompiers. Cette fois-ci tout à brulé, les arbres, quelques maisons mais aussi les véhicules stationnés à proximité.

Le bilan matériel de l'incendie communiqué par la préfecture :

- 91 bâtiments hors garages et cabanons : 51 détruits, 40 impactés dont 31 habitables et 9 non habitables
- 17 véhicules légers impactés
- 11 caravanes touchées

Evacuer, se confiner ou protéger sa maison ?

Au chemin du Marinier, certaines maisons sont totalement détruites

L’autre incompréhension concerne les instructions données à la population par la préfecture.

Assez rapidement le dispositif FR-Alert a été activé invitant la population à se confiner.

Jean-Claude, un habitant du vallon, a eu de la chance. « C’est un miracle, ma maison n’a pas été touchée, mais les deux de mes voisins sont détruites » Pourtant, il a tenté de revenir chez lui avant l’arrivée des flammes, mais il a été bloqué en bas du vallon par la police. « Moi j’aurais aimé pouvoir accéder à ma maison pour la défendre. Celles qui ont été défendues par leurs propriétaires n’ont pas brûlé. »

Car souvent, de simples tuyaux d’arrosage ont permis d’éviter le pire. C’est ce qui est arrivé à Laure, une autre habitante de ce quartier du Marinier. « Mon tuyau a fondu avec la chaleur et l’eau a coulé, quelque part, cette eau a protégé ma maison ».

Ce choix de rester à protéger sa maison, c’est celui de Dany mais elle en garde un souvenir douloureux puisqu'elle a été sévèrement brulée au bras par le rayonnement du feu.

Au final, sur instruction des forces de l’ordre ou par initiative personnelle, la plupart des habitants du vallon ont fini par évacuer face à la violence des flammes.

Le préfet explique sa stratégie de confiner les populations

Le préfet des Bouches du Rhône, Georges-François Leclerc, lors de son unique point avec la presse le mardi 8 juillet en fin d'après-midi

Dans un communiqué de presse publié mercredi soir, le préfet des Bouches du Rhône, Georges-François Leclerc a souhaité réagir à la polémique et "ces mises en cause, qui ne reflètent pas la
réalité de l'engagement efficace et héroïque de nos forces d'incendie et de secours. Il
assume la totalité des décisions qui ont été prises afin de garantir et surtout de réussir
à protéger la population."

Dans ce long texte avec des éléments factuels, il tente d'expliquer ses choix, et notamment le fait d'avoir demandé à la population de se confiner alors que le feu arrivait sur ces quartiers: 

"Les pompiers ont d'emblée confirmé le principe du confinement pour assurer la protection des populations menacées. (...) De trop importants embouteillages auraient empêché l’intervention des pompiers, et notamment les bascules de forces." Préfecture des Bouches du Rhône

"Certaines des routes ont été rapidement rendues impraticables en raison de la fumée, qui pouvait incommoder les habitants et empêchait la visibilité nécessaire à la conduite. Une évacuation dans ces conditions était donc difficile à mettre en œuvre autant que dangereuse pour les populations concernées. Au surplus, les routes devaient rester libres pour permettre aux secours d’accéder notamment à la Castellane et à l’Estaque."

"Sur le terrain, les pompiers ont veillé en permanence à la pertinence des mesures de confinement et assuré l'évacuation des habitants lorsqu’elle devenait nécessaire. Certains habitants ont parfois pris l'initiative d'évacuer avant les instructions ou l’arrivée des secours, ce que les sapeurs-pompiers et marins-pompiers ont accompagné sans jamais avoir omis ou perdu de vue les maisons les plus menacées et leurs habitants." écrit la préfecture dans son communiqué de presse.

Pour le capitaine Hervé Bovo des Pompiers des Bouches du Rhône et en première ligne dès le début du feu sur les Pennes Mirabeau, s’il comprend le sentiment de la population, il veut aussi prendre de la hauteur: « Je le dit de manière tout à fait humble, on n’a pas de blessés parmi la population, il n’y a pas eu de personnes décédées grâce à dieu, uniquement quelques blessés légers parmi les pompiers et policiers. On a été obligé de mettre nos gars dans une véritable guérilla urbaine.»

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