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Charles Berling : ''Je considère que la culture n'est pas un luxe, mais une nécessité vitale''

Musées, théâtres, salles de concerts sont des lieux de pensées et des garants de la démocratie. Quel est leur rôle suite aux attentats ? Nous avons posé la question à Charles Berling, directeur du Théâtre Liberté à Toulon.

Publié par Redac . le 17/11/2015 - Modifié le 18/11/15 13:48
Charles Berling : ''Je considère que la culture n'est pas un luxe, mais une nécessité vitale''

La France a été durement touchée. La Culture l'a été aussi. Quels sont vos sentiments aujourd'hui ?

« Une profonde tristesse. En même temps qu’une forme de révolte en fait, de colère. Encore une fois cette année on est agressé à un endroit qui est totalement constitutif de ce qu’on est. On attaque les fondements même de ce que nous sommes. Comme beaucoup de français je suis très abattu. L’ennemi est clairement déclaré, il y a un ennemi qui n’est pas nouveau mais qui agit de façon à détruire. Pour moi c’est la preuve que tout ce qu’on essaie de faire, tout ce qu’on fait avec la culture depuis longtemps est important."


"C’est pas un petit supplément d’âme qu’on donne, on donne un sens à une civilisation, un sens à une société."


Vous avez choisi au Théâtre Liberté de ne pas annuler les représentations prévues samedi soir. C'était un geste militant ? 

« Oui, on y a réfléchi avec Pascale et pour moi ne pas jouer c’était donner raison aux terroristes, à la terreur. D’abord et fort heureusement ils ne sont pas capables de tous nous détruire en même temps. Ca a déjà été dit, mais pour nous c’est important de continuer à jouer. Et c’est d’ailleurs ce que le directeur du Bataclan a dit : « on va rouvrir le plus vite possible ». Quand je parlais de colère et de révolte, c’est ça, ça veut dire « non, on ne se laissera pas faire ». On n’a pas pu jouer à Paris à l’Odéon parce qu’en Ile de France il y avait de fortes mesures de sécurité, mais dès demain on joue. A Toulon la Préfecture autorisait les directions à ouvrir, et je maintiens qu’il faut absolument jouer. Notamment car samedi soir se jouait le spectacle de Germaine Tillion. La salle était d’ailleurs pleine, et ça a un sens. Je refuse l’idée que nous serions des saltimbanques, rigolos chargés là pour donner un petit supplément d’âme. Non ! C’est pas un petit supplément d’âme qu’on donne, on donne un sens à une civilisation, un sens à une société.

L’art est la seule transcendance qui n’est pas religieuse, c’est très important. J’ai lu un texte de Lazare chez Ruquier samedi soir, il vient des banlieues, il joue dans nos théâtres. D’ailleurs du très bon théâtre, on l’avait accueilli au Liberté. C’est un artiste reconnu dans le théâtre subventionné, et il explique que pour un jeune des banlieues c’est soit les religieux qui viennent le voir soit rien. Je considère que la culture n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale. Il faut qu’on s’en rende compte."


 "La guerre, la guerre, c’est surtout une guerre civile qui peut se jouer. "


Musées, théâtres,... sont des institutions de la démocratie et de la République. Vous êtes d'accord avec cette idée ? Pensez-vous qu'en ce sens les acteurs culturels ont une mission particulière ?

« Je le pense profondément et totalement sans aucunes restrictions. Je ne le pense pas maintenant, j’ai été élevé là dedans. Vilar, Malraux et tous ces mecs là de la décentralisation ont fabriqué des outils dont j’ai hérité. Et ces outils sont ce que vous dites : C’est quoi une société ? C’est quoi vivre ensemble ? C’est quoi ces endroits d’art et de culture qui sont là pour faire en sorte qu’on n’en vienne pas aux mains ? Ils sont là pour donner de la pensée dans la société. De la pensée par ces structures culturelles. Que les populations se retrouvent là dedans. Ce qui se passe depuis 30 ans nous montre que quelque chose nous a échappé. Quelque chose s’est construit en dehors de cette société là. C’est minoritaire mais c’est existant.

Cette question on se la pose au Liberté depuis 5 ans. Moi, en tant qu’acteur, je me la pose depuis toujours. Je dis toujours " oui c’est bien que cette bourgeoisie vienne dans ces lieux culturels, mais attention il y a d’autres publics auxquels il faut savoir parler". Depuis que j’ai 20 ans et après la période Lang et la période Mitterrand, j’ai vu les efforts sur la culture diminuer. Cet outil attaqué. Cet outil qui travaille directement avec l’éducation nationale, cet outil qui travaille avec les associations, qui travaille avec des populations dites difficiles. Des gens qui se sont progressivement séparés, comme dit le texte de Lazare, de la société française. Et c’est grave. Il y a des raisons pour ça. Il y a des raisons profondes à la société française.

Quand j’entends le mot guerre, quand je l’entends dire par beaucoup de gens y compris nos responsables politiques, je dis attention à la guerre civile. La guerre, la guerre, c’est surtout une guerre civile qui peut se jouer. Or, contre la guerre civile, je dis pas que nous pouvons tout faire. Je vois tous les jours dans mon travail, que ce soit au Théâtre Liberté avec les équipes d’actions culturelles qui sont formidables, mais aussi de mon expérience que ça a un impact. Je vois à travers mon métier, quand on sort un film, quand on propose des histoires qu’on raconte et qui donnent du sens, je vois que même si ça a un petit impact, ça en a un. Moi-même je suis sans doute quelqu’un qui a pu être sauvé d'une certaine déshérence, d'une certaine violence grâce à ça. C’est pour ça que je suis aussi convaincu."


 Avec ces événements horribles, je pense qu’on sera plus aidés et compris comme une nécessité."


Qu'allez-vous faire au Théâtre Liberté pour justement remplir cette mission après les attentats ?

"On continuera à réfléchir comme on le fait déjà. Tout est lié, depuis 5 ans on se pose cette question. On travaille tous les jours à améliorer cette idée là. Avec ces événements horribles, je pense qu’on sera plus aidés et compris comme une nécessité. Mais rien n’est nouveau. Je pense que si un maire comme Falco a décidé d’ouvrir un théâtre en centre ville, c’est pas pour rien. Il a eu un flair indémniable. Il a montré à Toulon à quel point il croyait à la culture. Et je pense que s’il y croit c’est qu’il a compris que justement la culture peut permettre de rassembler. Je pense qu’il y a des gens qui ont déjà les paroles qui vont pouvoir être plus entendus maintenant qu’il y a quelques temps.

Je pense aussi qu’en France on est victimes du fait que certains politiques ont du mal à écouter ce qu’on appelle la base. Les acteurs culturels se coltinent ces réalités au quotidien. Les politiques, du moins pas tous, ont du mal à comprendre ce qu’il se passe. Car encore une fois si un jeune en matière de transcendance ne reçoit que du religieux, c’est possible le religieux, mais je pense que l’art permet aussi d’avoir du recul et n’amène pas au fanatisme. On a rarement vu l’art conduire au fanatisme."

 

photos : Ben Dauchez / CharletteStudio - JB Fontana

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