Sun-A Lee ne pratique pas une danse virevoltante, n'est pas dans la prise de contact avec le public mais son style est plus fragile, plus engagé, plus profond peut-être. Mouvements exécutés dans un contrôle absolu de chaque infime partie du corps, ce contrôle c'est celui de son être. L’art de Sun-A Lee laisse toute sa place au temps de l’introspection et le résultat, si on s’y laisse embarquer, est d'une troublante intimité.
L'artiste présentait deux pièces en ce début de février : un solo dont elle était l'interprète et un trio, qu'elle a chorégraphié en résidence du Pavillon Noir à Aix en Provence, pour deux danseuses et un danseur.
Dans le solo "Dancing Dance for me", Sun-A Lee est à la fois l'actrice d'un court métrage projeté en fond de scène et son incarnation en tant que danseuse sur le plateau.
Cette pièce c'est donc du cinéma en multiples dimensions puisqu'elle associe réalité du film et réalité de la scène. On a, à chaque instant, cette troublante sensation de voir les pensées profondes de l'interprète projetées sur l'écran.
La danse est précise, la souplesse et le maitrise qu'a Sun-A Lee de son corps sont impressionnantes ! Elle a conscience de chaque phalange, orteil et ses mouvements jusqu’à celui de ses cheveux semblent parfaitement maitrisés.
Après un court entracte, l’enchaînement avec « Dis Cover » présenté en première mondiale est intéressant, car même si l'esthétique apparait très différente, on retrouve dans ce trio le vocabulaire chorégraphique de Sun-A Lee et son style personnel du solo précédent. Dans cette pièce, les danseurs ont peu d'interactions mais leurs costumes et leur gestuelles similaires nous les font apparaitre comme les différentes facettes d’un même individu. Ils se meuvent comme cloisonnés par des frontières invisibles ou écrasés sous le joug de forces supérieures. Ce qui lie aussi les interprètes, ce sont aussi ces masses d'argile, la façon dont ils les façonnent, les écrasent et les torturent comme un exutoire, une catharsis. Parfois des liens entre danseurs se créent, éphémères et fragiles, les personnages évoluent alors et entrent en contact mais toujours au sol.
"Dis Cover" est une œuvre exigeante pour le spectateur, c'est une plongée dans les tiraillements de l'être mêlant à la fois la contemplation propre au style de Sun-A Lee et la violence des conflits qu'elle met en scène, une performance sans artifices.
Didier Philispart