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A Noailles, la difficile question de la gentrification

En pleine évolution, le quartier de Noailles voit arriver de nouveaux habitants et de nouveaux commerces complètement déconnectés des habitants historiques du quartier, l'un des plus pauvres de France. L'organisation d'un repas à près de 50 euros par convive ce lundi a créé une vraie polémique dans ce quartier toujours à cran depuis l'effondrement de la rue d'Aubagne.

Publié par Jean-Baptiste Fontana le 14/06/2023
A Noailles, la difficile question de la gentrification

Le secret de la bouillabaisse à Marseille, c’est de ne pas faire trop monter la température du bouillon, pour éviter que les poissons n’éclatent. La métaphore culinaire illustre bien l’incompréhension entre voisins de la rue d’Aubagne ce lundi soir. Une ambiance bien trop chaude pour cette soirée bouillabaisse, qui a finit par boire le bouillon.

La bouillabaisse de la discorde 

A l’origine, la jeune équipe de la Maison des Nines, un restaurant installé dans le bas de la Rue d’Aubagne, avait souhaité faire un événement festif avec une authentique bouillabaisse, préparée par des habitants passionnés et de bons produits locaux. Un restaurant qui propose une bouillabaisse à Marseille, ça semble basique. Sauf, que pour manger local et de saison, avec une démarche engagée et de bons poissons, il faut y mettre le prix. En l’occurrence 48€. C’est un tarif en ligne avec ce qui se pratique à Marseille, et même plutôt bas, puisque l’entrée et desserts étaient inclus.

Mais dans un des quartiers les plus pauvres de France, un tel montant correspond davantage au budget alimentaire pour une semaine que celui d’un seul repas. Pour s’en rendre compte, il suffit d’avancer de quelques mètres dans cette rue d’Aubagne. Les plats à la carte oscillent entre 5 et 10€. Les épiceries et commerces de bouche y sont réputés comme les moins chers de Marseille. Bref, un menu à 48€ dégusté là, ça choque et c’est même indécent pour beaucoup d’habitants.

Résultat: Attisée par quelques militants d’extrême gauche, la gronde populaire a conduit la Maison des Nines à annuler sa soirée et une mini-manif improvisées s’est tenue devant les rideaux baissés de ce concept store, mi-restaurant, mi-boutique mais certainement très bobo.

La gentrification de Noailles en question

« On craint de ne plus reconnaître notre quartier » explique Yolande, venue en voisine manifester son effarement ce lundi soir. Depuis quelques années, notamment depuis le confinement d’après plusieurs habitants, Noailles change. La sécurité s’y est un peu améliorée, le quartier s’embellit, le choc de l’effondrement de la rue d’Aubagne a aussi conduit aussi à une prise de conscience politique de l’état d’abandon et de retard du quartier.

Progressivement, Noailles devient à la mode. Les touristes découvrent un quartier authentique et populaire qui sent bon l’exotisme, de nombreux Marseillais se rappellent qu’on y fait de bonnes affaires dans un contexte d’inflation.

La population change, davantage mixte, mais au risque aussi de perdre une partie de son âme. C’est en tout cas la crainte de certains habitants, anxieux à l’idée de ne plus pouvoir payer leurs loyers, comme chassés par ces neo-arrivants. Les nouveaux commerces affichent des prix adaptés à cette nouvelle clientèle et parfaitement inabordables pour les autres. Cafés à 3€, chambre d’hôtel à 200€ la nuit... Beaucoup d'Airbnb se sont aussi créés dans ce secteur, suscitant eux aussi un vague de contestation auprès de la population.

Marseille n’en finit pas d’aligner les paradoxes : c’est parce qu’elle est authentique et populaire qu’elle attire les touristes, c’est parce que les politiques de la ville veulent améliorer l’habitant et les conditions de vie que ses habitants pauvres s’en retrouvent chassés.

Pour en revenir à la Bouillabaisse, à l’origine, c’était le plat des pauvres. Aujourd’hui, un autre habitant du quartier reconnaît, fataliste, que de nombreux habitants du quartier n’auront finalement jamais l’occasion de goûter à une authentique bouillabaisse marseillaise.

A Marseille, même la bouillabaisse se fait gentrifier.

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