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Le face cachée du Moulin

Contre vents et marées, la salle de concert marseillaise multiplie les actions envers jeune public et dans les prisons. Au delà des spectacles, c'est un engagement citoyen discret mais indispensable pour Marseille et ses minots.

Publié par Jean-Baptiste Fontana le 18/02/2016
Le face cachée du Moulin

Le Moulin, c'est près d'une cinquantaine de concerts par an. Et le reste de l'année ? L'équipe organise discrètement de nombreuses actions de sensibilisation et de formation aux musiques actuelles. Les publics visés sont souvent exclus des politiques culturelles, leur offrir une porte d'entrée vers la musique c'est donc un enjeu citoyen.

Dans un secteur populaire de Marseille, Le Moulin tente de recréer du lien social grâce aux musiques actuelles. Le constat de Nicolas Christin, le directeur de la salle est dur et amer :

"Il y a un niveau de violence inégalé dans cette ville. Aujourd'hui, les gamins parlent de kalash'. Dans certaines cités, on peut croiser un minot de 14 ans en train de dealer et avec un flingue dans les poches".

Il sait de quoi il parle, le Moulin est intervenu en 2011 dans la prison pour mineurs de la Valentine. Une drôle d'ambiance raconte Nicolas "On s'adresse à des gamins de 12 ans pour les plus jeunes, et jusqu'à 17 ans. On l'a tous pris dans la gueule. Déjà, face à des adultes c'est compliqué, mais là, c'était encore plus dur. On y est allé humblement". Il en garde aussi une certaine incompréhension de l'univers carcéral. Ces gamins sont-ils là pour être punis ou pour être réintégrés dans la société ? Les deux certainement, "Notre volonté était de casser le verrou, de créer un vrai lien avec la musique", tout un symbole. En tous cas, la pause musicale offerte par le Moulin leur a permis de découvrir un autre univers. Des mots et des instruments plutôt que la violence et la drogue qui les avaient amenés là. Des yeux qui pétillent et un espoir qui renaît...mais une histoire qui ne sera pas renouvelée, faute de soutien de l'administration. "Faire rentrer des artistes dans une prison n'était plus la priorité. Dès que l'on ramène du plaisir dans le cadre de la prison, on sort de la logique de punition. Et puis les ateliers ont peut être aussi créé des liens trop forts avec les détenus".

Peu importe, le Moulin a trouvé sa nouvelle vocation. Dès 2012, c'est dans les écoles et les centres sociaux qu'il intervient désormais. De la crèche au lycée, les élèves de ces quartiers dits "difficiles" participent à des ateliers autour des musiques actuelles. "Une initiation musicale avec des bébés, ce sont des ateliers vraiment intéressants. Les tout-petits sont vraiment impressionnés par ce travail d'éveil musical autour d'une guitare sèche. Petit à petit, ils découvrent les instruments et la musique". Ces ateliers vont de la découverte des sons pour les plus petits à des rencontres avec des artistes comme IAM pour les lycéens. 

"Notre meilleure récompense, c'est quand j'ai trois sourires : celui de l'élève, mais aussi celui de son enseignant et de l'artiste qui participe à l'atelier".

Les collégiens viennent régulièrement au Moulin et sont invités à en prendre les commandes. On y organise des jeux de rôle. Ils doivent ainsi penser un concert et découvrent les différents métiers de la scène. Musicien bien sûr, mais aussi ingénieur du son, technicien...Peut être autant de futures vocations?

Des politiques culturelles en question

Au delà de cet engagement, Nicolas Christin porte un regard dur sur sa ville. La fréquentation des salles de concert de musiques actuelles est en berne à Marseille, et pas uniquement à cause des attentats. Nicolas Christin l'explique par le fait que les salles "n'arrivent plus à intéresser une partie de la jeunesse".

"Nous sommes loin des niveaux de fréquentation des salles comme Toulouse ou Montpellier. A Nantes, la plupart des concerts sont complets. Il y a une morosité totale dans notre ville, avec des problèmes d'argent et d'insécurité plus significatifs qu'ailleurs. Ils n'ont peut être pas non plus nos problèmes de transports en commun."

"Ici on multiplie les salles alors qu'on n'arrive pas à remplir celles qui existent."

"Il y a un vrai problème à Marseille autour de sa jeunesse." déplore-t-il. Et il soulève un autre problème sur l'euphorie des soirées electro à Marseille : "Ne nous voilons pas la face. Dans une soirée electro de 22h à 5h du mat, c'est 20/25€ mais il y a des choses qui vont avec. Il y a des consommations importantes de stupéfiants, et en particulier des drogues de synthèse. (...) Le choix des financements est aussi incompréhensible. Des festivals qui font trois jours de spectacle touchent bien plus que des acteurs engagés toute l'année dans la médiation culturelle. Ces politiques entraînent une forme de découragement pour les autres opérateurs culturels ".

Ces actions d'éducation musicale et de rencontre avec les publics "empêchés" et non habitués des salles de concert, bénéficient certes d'un soutien financier, mais il est loin de couvrir les frais engagés. "Nous sommes plus proches du bénévolat" concède-t-il même s'il reconnaît au final qu'il "prend plus de plaisir au contact des gamins que dans l'organisation des concerts".

Au lendemain des attentats, cette question d'une partie de la jeunesse qui s'éloigne de la culture interpelle. L'éducation aux musiques actuelles est aussi, à sa modeste mesure, une manière de tisser du lien social. "Il faut que ces gamins prennent goût à la musique, viennent voir des concerts. Si on touche cette génération dès le départ, il y a une probabilité claire qu'elle soit plus dans une fréquentation de salles de spectacle, plutôt qu'une génération née dans l'internet qui va regarder du concert sur Youtube" conclut-il.

 

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