On se laisse guider au fil de 3 pièces d’un éclectisme audacieux qui n’ont en commun que l’énergie organique qu’on a l’habitude d’associer à Preljocaj.
En première étape, Annonciation, une pièce brève pour 2 danseuses, où se tisse une confrontation d’une grande force dramatique entre la Vierge Marie et l’Ange ; elle nous entraîne, au-delà de la thématique biblique, dans un rituel sensuel et symbolique. Dès l’entrée en scène de l’Ange, sa présence athlétique s’impose et prend l’ascendant sur Marie qui semble terrassée dans un premier temps, comme hypnotisée par le geste impérieux du doigt levé puis pointé de l’Ange, pour ensuite se laisser embarquer dans une sorte de dialogue gestuel en miroir. Mais cette apparente harmonie aboutira à plusieurs poses évoquant d’autres œuvres d’art classique comme une scène de Pieta – annonciatrice aussi des souffrances à venir de Marie ; ou une posture de domination de l’Ange déployant ses ailes au-dessus du corps à terre de la Vierge.
Le deuxième opus, Torpeur, est une création 2023 articulée en plusieurs courts chapitres qui célèbrent les corps des danseurs et différents niveaux de plaisir que le public de la danse contemporaine peut éprouver. 12 danseurs et danseuses nous proposent dans la première partie un moment jubilatoire de pure énergie cinétique où la joie semble aller et venir entre le plateau et les spectateurs. Le deuxième chapitre s’ouvre avec le ralentissement de la bande son, et où, loin de ressentir le moindre début de torpeur, la chorégraphie prend un tour kaléidoscopique dont le mouvement devient quasiment hypnotique jusqu’au passage à la phase suivante qui voit les danseurs se scinder en 4 trios progressivement attirés vers le sol dans un changement de tempo decrescendo qui se conclura par la formation d’un cercle horizontal.
La troisième étape, Noces, créée en 1989, nous plonge dans une atmosphère où chaque élément contribue à nous extraire de notre zone de confort : la musique (une partition « explosive » de Stravinsky, la lumière en douche froide, et les accessoires qui se font effrayants (mariées-poupées de chiffon macabres, bancs de bois).
Cinq couples de danseurs déferlent en continu dans une ronde effrénée, un entrechoc sans répit qui réussit à installer un climat angoissant de sexualité quasi morbide. Il émane de cette pièce une énergie inouïe qui peut séduire et/ou déranger, tant elle questionne des thèmes contemporains de genres et de conventions sociales.
Isabelle Savy
Photos Didier Philispart