La dernière création de la compagnie belge Peeping Tom, dans la lignée de leurs spectacles déroutants, nous embarque loin, très loin de toute zone de confort. On essaie de se raccrocher aux quelques branches que la scénographie nous tend – par ici un atelier de sculpteur, une carrière, et puis Elvis Presley, et par là un champ de bataille, des robots…on croit suivre un fil, décrypter un message sur le rôle de l’art, la condition humaine, que nenni. Les pistes sont brouillées, nos sens à rebrousse-poil, on s’émerveille de la technicité vertigineuse des artistes, de la beauté sombre de l’éclairage, mais on doit renoncer aux repères identifiables, et s’aventurer hors des sentiers battus.
En 1h et 15 minutes, 5 danseurs brisent les codes, quasiment jusqu’aux lois de la physique, pour nous faire explorer nos propres perceptions, visiter peurs et fantasmes – qui n’a jamais rêvé de tirer sur quelqu’un à bout portant, de jeter des sorts paralysants, ou de regarder un énorme rocher tout écraser sur son passage ?
Les tableaux s’enchaînent comme des chapitres ou les scènes d’un film dont
la narration classique est absente et où règne l’énergie pure, celle des danseurs qui grimpent, dominent, s’affrontent, puis ruissellent et s’étreignent. La folie s’installe, les gestes s’accélèrent, créent des boucles, et le vocabulaire chorégraphique se fait violent. C’est l’humour qui rend ces tableaux à la fois plus acceptables et plus forts.
Un humour grinçant ainsi qu’un rire quasi enfantin devant des gags, style slapstick. Le monde des humains d’aujourd’hui nous apparaît déglingué jusqu’au non-sens; la sorte d’absurde à la Beckett de toutes nous nos entreprises, artistiques ou guerrières, qui semblent aussi vaines que cruelles.
Sommes-nous prêts à partager ce risque de voir le réel avec les yeux de Peeping Tom ? Le risque de suivre un des chemins passionnants – celui-ci dérangeant - de l’évolution de la danse contemporaine ?
Isabelle Savy
