chargement en cours

Fouilles de la Corderie : Comment les habitants ont réussi à suspendre les travaux

Retour sur une semaine de mobilisation qui a permis d'interrompre les travaux sur le site de la carrière antique de Marseille.

Publié par Jean-Baptiste Fontana le 05/08/2017
Fouilles de la Corderie : Comment les habitants ont réussi à suspendre les travaux

Marseille s'est découverte une passion pour l'archéologie en cette torpeur estivale. Rarement la mobilisation des habitants aura été aussi pugnace face à un chantier immobilier. Au delà de la constestation de ce projet d'immeuble qui date d'une dizaine d'années, il y a eu un réel réveil des consciences au sujet du patrimoine commun des Marseillais. Retour sur la chronologie des événements.

Mardi 1er août 18h : "On vient de dégrader le site"

Première alerte des riverains. On constate que des piquets ont été plantés "à la sauvage" au coeur du site antique. Etrange. Le site était à l'arrêt depuis des semaines, la Ministre avait promis de le classer à la rentrée. Pourquoi cette action en plein été ?

Mercredi 2 août 9h : "Ils détruisent les ruines à coup de tractopelle !"

Branle-bas de combat chez les riverains. Sandrine Rolengo, une riveraine dèjà très active puisqu'elle avait rencontré la ministre, appelle tous ses contacts pour alerter de l'arrivée d'un tractopelle et de son action au coeur du site des fouilles. C'est une course contre la montre qui s'engage : au fil des minutes l'engin progresse, les habitants arrivent le long de la grille et s'insurgent contre ce coup de force de Vinci. Le groupe immobilier se terre dans son mutisme, refusant de répondre à la presse et aux habitants en colère. La tension est vive sur place.

Mercredi 2 août 10h30 : Les élus entrent en scène

Benoît Payan, chef de file de l'opposition socialiste au conseil municipal est le premier a arriver sur les lieux. Il est rapidement rejoint par le communiste Christian Pellicani et surtout, Sébastien Delogu, un bras droit de Jean-Luc Mélenchon resté à l'Assemblée Nationale. Il arrive à joindre un patron de Vinci et négocier un arrêt immédiat du chantier pour une durée de 48 heures.

Mercredi 2 août 15h30 : La DRAC s'explique enfin

Le début des travaux a suscité un fort émoi, relayé au niveau national par les politiques. Il est urgent de réagir du côté des pouvoirs publics. Si la Ville de Marseille et la Ministre restent silencieux, c'est l'archéologue en chef de la DRAC que l'on envoie au front. Une conférence de presse est organisée en urgence pour expliquer ce qui se passe. En résumé :
- les fouilles sont terminées "On a fait venir sur place des experts au niveau national, des chercheurs du CNRS et de l'université. Cette fouille a été exemplaire, et on va pouvoir la valoriser" explique Xavier Delestre. C'est en effet très rare que des fouilles de sauvegarde avant un chantier donnent lieu à une conservation et l'ouverture au public de manière perenne.
- la DRAC a délimité "en toute indépendance" une zone "sanctuarisée". "On a pu faire un arbitrage dans l'intérêt général" précise l'archéologue. Les vestiges voués à la destruction ont été étudiés.
- Le reste du terrain a été rendu à Vinci, ce dernier a donc officiellement le droit d'y envoyer ses pelleteuses et de creuser les fondations de l'immeuble, notamment sur la zone du site que la DRAC n'a pas jugé suffisamment pertinente à sauvegarder.

Des interrogations subsistent sur le tracé de cette zone qui va être classée, puisqu'elle coïncide parfaitement avec le projet de Vinci. La zone protégée se situe dans ce que devait être à l'origine le jardin de l'immeuble. Et le bâtiment sera construit sur les ruines non protégées.

Jeudi 3 août 10h : Vinci communique à son tour

Vinci envoie un communiqué à la presse et accroche des affiches pour expliquer sa position: Ils ont le droit d'engager les travaux sur décision de la DRAC et ils s'impliquent dans la protection de la carrière sur la zone délimitée par les archéologues de la DRAC. Ils diffusent un croquis de ce que pourrait être ce futur musée à ciel ouvert. Les représentants du groupe sont également présents sur le site et tentent de faire retomber directement la pression avec un contact direct avec les riverains.

Jeudi 3 août 18h : Une manifestation devant le site rassemble 200 personnes

Environ 200 personnes sont réunies devant les fouilles pour protester contre le projet de Vinci. Les élus de Gauche et de La République en Marche interpellent les pouvoirs publics, notamment sur une médiation promise mais qui n'a jamais eu lieu. La revendication de la manifestation est simple : l'arrêt des travaux, mais aussi, l'abandon du projet immobilier.

Vendredi 4 août 7h : Fin de la trève et envahissement du site par les habitants

Les 48h d'interruption des travaux touchent à leur fin. Un nouveau camion se présente sur le chantier. Les habitants s'étaient donné rendez-vous dès l'aube et l'empèchent de rentrer. Ce sont eux qui investissent le site durant toute la journée. L'occasion aussi de découvrir qu'il existe d'autres endroits non fouillés sur le site et de nouvelles interrogations sur la manière dont ont été menées les fouilles.

Vendredi 4 août 10h : La réunion de concertation enfin programmée

La tension étant montée d'un cran, la Préfecture réagit et annonce qu'une réunion de concertation est programmée le 31 août avec les différents acteurs du dossier.

Vendredi 4 aout 12h : Vinci suspend ses travaux jusqu'à fin août

Le groupe immobilier finit par céder face à la pression. Les travaux sont suspendus jusqu'à la réunion de concertation. Mais si Vinci cède maintenant, il n'entend pas lâcher le projet. En off, il laisse entendre qu'une modification du projet lui conduirait à demander une compensation à l'Etat puisqu'il dispose aujourd'hui de toutes les autorisations nécessaires.


Trois questions autour des vestiges : La DRAC s'explique

D'autres ruines ont été découvertes sur le site. Pourquoi n'ont-elles pas été sanctuarisées ?

Sur la partie gauche du site on distingue des caves et des canalisations (photo ci-contre). "Ces vestiges datent du 19ème et 20ème siècle" affirme Xavier Delestre. Leur intérêt patrimonial est donc limité selon lui.

Après la période antique, la carrière a connu mille vies. Comme le nom de la rue l'indique, ce fut une corderie au temps de Louis XIV puis une école chrétienne de l’œuvre de Jean-Baptiste de La Salle selon l'historien Jean-Noël Bévérini. Le terrain accueillit également une caserne jusque dans les années 70. Le débat reste ouvert sur l'intérêt et la période réelle de ces autres vestiges.

Détail d'un Plan topographique de la Ville de Marseille de 1824 (sce: archivesplans.marseille.fr )

Pourquoi seul un tiers du site a été fouillé ?

De nombreux habitants s'interrogent sur la raison pour laquelle seule une petite partie du terrain a finalement été fouillée.

Deux raisons sont invoquées par la DRAC : "Il s'agit de fouilles préventives et non programmées" : Ces fouilles sont réalisées dans le but de voir ce qu'il y a avant une éventuelle construction qui les détruirait. C'est donc uniquement la surface concernée par la construction qui est fouillée, pas au delà. Hors, puisque l'immeuble prévu longe le boulevard de la Corderie, il n'a pas été demandé à l'INRAP de fouiller toute la zone. Ainsi, le long du rempart (au sud), il est prévu que ce soit le jardin de la copropriété, et donc pas de terrassement. S'il y a des vestiges là, ils y resteront encore enfouis pendant de longues années. "Pour que l'on fouille cette zone, il aurait fallu une fouille programmée, avec un intérêt scientifique" explique Xavier Delestre. La zone fouillée et sanctuarisée devait être, elle, terrassée et initialement détruite. Elle a donc été sauvée.

La seconde raison est liée au relief du terrain et à la sécurité du chantier. La partie où l'on a trouvé les caves du XIXéme siècle présentait un risque d'éboulement si on creusait là, selon l'archéologue de la DRAC.

Et si l'on trouve de nouvelles ruines pendant les travaux ?

"Si pendant les travaux, les ouvriers venaient à découvrir de nouveaux vestiges, le chantier serait à nouveau immédiatement interrompu et laisserait place aux archéologues" nous explique sans hésitation Xavier Delestre. Reste à savoir qui donnerait l'alerte en cas de découverte. 

 

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies.