Né en 1974, Thomas Dreyfuss vit et travaille à Gentilly, en région parisienne. Après des études d’Histoire de l’art et d’Archéologie, il suit un cursus d’Arts Plastiques. À travers le dessin et la peinture, il choisit de mettre la théorie en perspective dans une veine figurative. Pour Thomas Dreyfuss, « peindre, c’est aussi recomposer ce que l’on est ».
Comment peindre ? Quoi peindre ? Pour qui peindre ?
Pour répondre à ces questions encore faut-il se les poser ! Pour Thomas Dreyfuss, les solutions ne sont jamais univoques. Elles s’expriment en actes, impliquent un engagement, conjuguent des dimensions sociales et singulières. « Peindre, c’est aussi recomposer ce que l’on est ». Un échange, un dialogue, la prise en compte des oppositions et des contrastes entre les sociétés occidentales et la tradition, l’histoire de l’art et l’archéologie, pour mieux appréhender la cohérence d’un monde fragmenté. Peindre ce que l’on a devant les yeux, ce que l’on connaît, transcrire au quotidien la mémoire d’un regard. S’inscrire pour ce faire dans le sillage de Manet qui, selon Zola « voyait de ses yeux » et voulait « avant tout dire franchement ce qu’il voit ».
Thomas Dreyfuss peint avec franchise mais non sans ambages. Il sait que la vérité en art s’élabore, que le détour est nécessaire et que l’évidence se construit. La couleur ainsi se découvre comme référence dans une palette chaude et pastel qui s’apparente à celle de l’Atelier Hergé des années quarante et cinquante. Ce défi de la couleur lui permet d’opérer une translation de l’image vers la peinture. Perspective minimale, aplats, contraste des couleurs, la franchise implique la réappropriation du réel par la forme et pour le sens. Peindre ce que l’on connaît, ce que l’on voit, mais sans oublier pour autant l’histoire de l’art qui se manifeste ici par des citations discrètes, des morceaux de peinture (Zurbaran par exemple), comme autant de transitions. Le passage comme concept et expérience, comme vocabulaire plastique (ainsi les aqueducs…). Thomas Dreyfuss pratique également l’hybridation entre réalité et mythologie, tradition et mondialisation, nature et culture. Animaux étranges, présence du Minotaure, lapins et taureaux, Dédale et Lewis Carroll. James Joyce peut-être ? Stephen Dedalus, Portrait de l’artiste en jeune homme ? La peinture devient voyage, dépassement, métamorphose… L’œuvre se construit à partir de son expérience d’enseignant d’arts plastiques avec des jeunes migrants venus de toutes les parties du monde mais aussi de ses séjours prolongés et assidus aux côtés des Afar, peuple nomade de la corne de l’Afrique. Peindre des anonymes, refuser toute tentation pittoresque, se départir de l’exotisme, tel est l’enjeu. Le voyage dans ses dimensions géographiques et relationnelles, se révèle pratiquement sur la toile. L’atelier devient une étape de ce processus de composition et de recomposition, le lieu d’une harmonie contradictoire. Thomas Dreyfuss peint de façon frontale la complexité des translations, les lacis, le labyrinthe, le réseau…. Une narration induite (faut-il rappeler que ses parrains en peinture sont le groupe Objectal et Ivan Messac) non directive, spéculaire et réticulaire, ouverte sur une multiplicité de lecture, est à l’œuvre dans ce travail sans cesse remit sur le métier. Envisager le réel dans ses dimensions picturales et plastiques, le découvrir, le révéler, le deviner dans son sens premier, dans son acception chamanique. Nous parlions de voyage. Avec Thomas Dreyfuss, il nous faut penser conjointement la transition, la translation, le dépassement, l’émotion aussi, par et pour le geste pictural. Des pérégrinations vécues, réinterprétées et reconstruites. Dédale est là, l’artiste et le labyrinthe, comme métaphore de l’architecture complexe, d’un monde dont il faut trouver la ligne claire sinon le fil d’Ariane. Penser le réel à l’image dans son mouvement, sa fluidité mais aussi ses aspérités telle une quête perpétuelle. L’œuvre est et restera nomade. Un voyage non sans but mais sans terme. Pour un artiste pérégrin comme Thomas Dreyfuss, l’exploration et la découverte restent à jamais premières.
Pourvu que j’arrive quelque part…
Robert Bonaccorsi
Décembre 2016